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PANDEMIE et GÈNES

Pandémie et gènes

Professeur Ariane Giacobino, médecin généticienne, Université de Genève et Hôpitaux Universitaires de Genève, Suisse

Nous sommes bien loin, devant la pandémie COVID-19, de la « médecine de pointe » dont fait partie la médecine génétique, avec sa panoplie de technologies ultrasophistiquées et coûteuses. Pourtant ce coronavirus attaque certains d’entre nous, et certains groupes de population de manière plus virulente que d’autres. Etre fragilisé préalablement du fait d’une maladie génétique sous-jacente, d’un handicap, de la vieillesse nous rend vulnérables. Le risque, pourtant extérieur à nous, n’est donc une fois encore, pas réparti également entre les hommes. Etre mal/peu nourri, vivre dans des conditions qui rendent les règles d’hygiène et de distanciation sociale difficilement applicables, ne pas avoir d’accès au soin aisé, rend plus vulnérable, plus mortel. Nous ne sommes décidément pas égaux devant ces calamités dites « naturelles ».

Alors oui, la médecine de pointe permet le séquençage de génomes humains par milliers, celui de nombreux virus comme le SARS-CoV-2, l’analyse des nouvelles mutations qu’il intègre au fil des contaminations et de son tour du monde. Elle va peut-être nous permettre de participer à la mise au point d’un vaccin, mais le problème sous-jacent des inégalités constitutives ou acquises est encore plus manifeste avec cette pandémie. Combien vaut une vie en termes économiques ? Est-ce mieux de sacrifier des vies pour l’économie ou de protéger des vies en perdant de l’argent qui fait vivre ? Une vieille vie vaut-elle moins car il lui reste moins de temps actif ? Faudra-t-il choisir qui tenter de sauver ? sont les tristes questions du moment. Hélas, elles risquent bien de ne pas faire penser au-delà de cette épidémie, sans vraiment nous faire prendre conscience du travail sociétaire qu’il y aurait à faire pour nous rendre un peu plus égaux.

Si nous avons survécu, que nous sommes passés entre les gouttelettes contaminantes cette fois, le confinement ne nous aura pas forcément laissés indemnes. Nous n’en sommes pas morts, c’est déjà bien, mais comment vivrons-nous après ? Il y a ceux qui auront perdu la vie, la santé, mais aussi un emploi, de l’argent, des liens sociaux. La solitude et l’isolement sont par eux-mêmes des facteurs de stress et de risque pour notre santé, physique et mentale. Vivre confiné plusieurs semaines, dans un logement minuscule, est un stress important pour des adultes comme pour des enfants. L’isolement lié au confinement est une expérience qui peut avoir laissé des traces, avec une augmentation consécutive de troubles psychologiques, tels qu’anxieux ou dépressifs.

On sait que les changements de l’environnement peuvent induire des modifications épigénétiques. Celles-ci consistent en des changements chimiques réversibles de certaines régions de nos gènes, les faisant fonctionner différemment, et soit produire davantage soit moins de protéines. Quand c’est en rapport avec des stress psychologiques, on constate que les gènes impliqués sont notamment dans ceux de la neurotransmission avec pour conséquences, notamment des troubles psychologiques ultérieurs. Comprendre qu’il pourrait y avoir en jeu des modifications épigénétiques nous fait-il penser autrement cette situation ? Peut-être, dans la mesure où l’on sait que ces modifications ont été démontrées comme pouvant se trouver en amont de certains troubles psychologiques durables et d‘une vulnérabilité accrue au développement ultérieur de ceux-ci. On peut se demander si les personnes déjà vulnérables au Covid-19, du fait de la fragilité du tissu social qui les entoure, de conditions socio-économiques difficiles, ne sont pas justement celles qui sont à risque de développer des troubles ultérieurs.

A propos de modifications épigénétiques, nous avions pu démontrer que des femmes enceintes exposées au génocide du Rwanda, et souffrant de syndrome de stress post-traumatique (PTSD), portaient sur un gène impliqué dans la voie biologique du stress (NR3C1) des marques épigénétiques plus importantes que les femmes enceintes qui n’avaient pas été exposées au génocide1. De plus, les enfants nés de ces femmes avec un PTSD portaient également des modifications épigénétiques plus marquées. Cela suggère non seulement la durabilité de ces modifications mais aussi une possible transmission biologique de certaines perturbations épigénétiques.

Il a été montré que les afro-américains sont surreprésentés parmi les personnes infectées et mourant du COVID-19 dans des états nord-américains2. Il ne s’agit évidemment pas d’un problème constitutif dit de « race » par certains, les races n’existant pas du point de vue génétique, mais certainement d’une fragilité induite par une situation socio-économique difficile3. On peut émettre l’hypothèse que cette fragilité est médiée par des facteurs épigénétiques, un stress chronique, agissant sur l’expression de nombreux gènes et augmentant les problèmes psychiques et somatiques. Cette situation de surreprésentation des populations défavorisées parmi les victimes du COVID-19 est très probablement vraie dans d’autres pays aussi. La contextualisation des victimes du COVID-19 dans leur milieu social est essentielle pour ne pas stigmatiser certains groupes de population, victimes préférentielles du COVID-19, sous des prétextes fallacieux.

Cette épidémie COVID-19 est un révélateur environnemental infectieux brutal, des inégalités avec lesquelles nous vivons. La génétique, l’épigénétique, nous font percevoir que l’on on peut naître fragile, le devenir, et ne plus pouvoir s’en relever. Essayons de profiter de cette crise sanitaire pour agir sur les injustices, consubstantielles à notre société.

Références

1 Perroud, Rutembesa, Paoloni-Giacobino, Mutabaruka, Mutesa, Stenz, Malafosse, Karege, World Journal of Biological Psychiatry, May, 2014.

2 Laster Pirtle, Health Education & Behavior, April 26, 2020.

3 Chowkwanyun and Reed, New England Journal of Medicine, May 6, 2020.

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