de Charles CELENICE, Président de l’ACMPP

Nous, parents, sommes souvent dans le doute… nous cherchons des conseils, recommandations, aides… Nous aimerions savoir si nous agissons bien, et quoi faire, comment… ? C’est normal, c’est sain. En plus, rien n’est facile… Nous souffrons souvent, et parfois faisons souffrir, ceux et celles que nous sommes chargés d’éduquer, d’accompagner dans leurs si délicates premières années d’existence, de vie. Nous connaissons aussi, bien heureusement, des joies et des moments de bonheur intenses, souvent les plus marquants de notre vie.

Et nous voilà confinés, maintenant ! Contrainte très forte, certes. Mais peut-être opportunité de revoir certaines choses, d’arrêter la course folle dans laquelle nous sommes souvent engagés, d’examiner attentivement ce à quoi nous ne prêtions pas suffisamment d’attention jusqu’à cette épreuve, de … OPPORTUNITE ! C’est le moment de le faire, c’est à saisir comme une bonne affaire, à ne pas rater, … Alors, prenons un peu de recul, notre courage et notre lucidité à deux mains, et essayons d’y voir plus clair, d’avancer ensemble.

Le rôle de parent est difficile

Tout le monde affirme aujourd’hui que les parents ont de plus en plus de difficultés pour élever correctement leurs enfants.
Aux contraintes matérielles et financières, s’ajoutent de grosses difficultés de communication parents / enfants, un mal-être croissant des jeunes, un désarroi grandissant des professionnels chargés de les encadrer, l’échec scolaire, les difficultés d’insertion….

Le sentiment que tout va trop vite, et mal :

Le contexte a changé, et change encore de plus en plus vite : mutations de la société, crise économique, inégalités criantes, paupérisation, chômage, angoisse, anxiété, incompréhension, malaise, peur du déclassement, peur de l’autre, agressivité, violence, modernité porteuse de stress très importants, crise de la démocratie représentative, de conflits ingérables et destructeurs, …
Les structures familiales évoluent : séparations, recompositions, isolement, éclatement des cellules familiales élargies, …
Les modèles d’éducation que nous connaissions ne fonctionnent plus vraiment, quoiqu’on en dise parfois.
Comprendre la psychologie des enfants, des adolescents, le fonctionnement de l’école, les enjeux de l’éducation dans la société actuelle, les parcours de professionnalisation et d’accès à l’emploi…tout cela a changé et change si vite qu’il faut développer des compétences dans ce domaine.

Nous sommes tous concernés :

Quel que soit le statut social …
Quel que soit le métier, le niveau de qualification …
Quel que soit l’état de santé, de handicap, …
Parents d’enfants, d’adolescents, de jeunes, …
Pères, mères, jeunes parents, …
Parents qui se séparent …
Familles monoparentales, parents isolés …

Être parent, c’est :

Des relations affectives
Des fonctionnements psychiques
Des pratiques éducatives
Des responsabilités sociales et juridiques : subvenir à l’ensemble des besoins éducatifs, affectifs, scolaires, culturels, sociaux et sanitaires des enfants (article 375 du Code civil).
Exercer une autorité conjointe

Pas facile, donc. Et il en a toujours été ainsi. Pas seulement depuis nos propres parents ou grands-parents…

Un conflit millénaire de générations

Voilà déjà ce que disait Socrate (470 – 399 avant J.C.), il y a donc environ 2 500 ans :

Les jeunes d’aujourd’hui…aiment le luxe. Ils sont mal élevés, méprisent l’autorité, n’ont aucun respect pour leurs aînés, et bavardent au lieu de travailler. Ils ne se lèvent plus lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, plastronnent en société, se hâtent à table d’engloutir les desserts, croisent les jambes, et tyrannisent leurs maîtres.

A quelques mots près, n’est-ce pas ce qui se dit souvent, de nos jours ? Malgré les progrès scientifiques et techniques, malgré ceux de la médecine, malgré l’apparition de la psychologie, de la psychanalyse, des neurosciences, … ces idées persistent dans nos sociétés. Il est vrai que nous avons tendance, assez souvent, à nous référer à ce que nous connaissons, et donc à l’éducation que nous avons reçue, pour la reproduire ou la rejeter, parfois un peu trop légèrement. Craindrions-nous trop la nouveauté, la différence, le changement ?

Être parents, c’est un effort et un progrès permanents

Pourtant, nous avons parfois recueilli de très bons conseils, lu des ouvrages, suivi des émissions dans des médias, peut-être participé à des réunions intéressantes, … Nous vivons dans une société qui nous permet de prendre un peu de temps pour cela, qui nous met des ressources à disposition, qui dispose de nombreux experts et professionnels compétents, ce qui n’a pas toujours été le cas.
Nous avons sans doute progressé dans notre compréhension, dans notre acceptation de notre rôle, dans nos compétences et pratiques parentales, dans l’expression, le ressenti et la maîtrise de nos états d’âme, … C’est bien. Nous sommes sans doute heureux d’avoir réussi certaines choses. Nous comprenons mieux certaines erreurs, voire fautes, et avons appris à les éviter. Nous gardons l’espoir …

Parce que, l’histoire de l’humanité nous l’a prouvé, nous pouvons y arriver. Rien n’a jamais été parfait, mais nous pouvons progresser. Et nous le faisons, sans doute de mieux en mieux, avec de moins en moins de dégâts pour les enfants que nous avons à éduquer. Chaque génération tire les leçons de l’expérience de celles qui l’ont précédée. Même si on a l’impression « qu’avant, c’était mieux », on sent bien on voit bien des progrès importants dans les modes d’éducation actuels. On prend même conscience de corrections à y apporter, d’évolutions souhaitables. On y introduit de nouveaux outils, les technologies modernes, et on apprend à en maitriser l’usage, tout en comprenant les limites à ne pas franchir, …On avance.

Parents confinés

Et voilà qu’arrive ce COVID-19, cette terrible menace, cet interminable confinement. Après plusieurs semaines, nous sommes là toujours, mais les risques demeurent. Peut-être en Martinique n’avons-nous pas passé le cap le plus important ? Rappelons-nous que nous n’étions qu’au début de « l’importation » du virus chez nous, au stade 1, lorsque nous avons été confinés. Ceci explique peut-être que nous ayons été relativement épargnés jusqu’à maintenant, même s’il faut saluer et s’associer à la douleur des familles qui ont été durement touchées.

Il n’y a pas que les risques sanitaires à prendre en considération. Durant cette période, nous avons sans doute déjà traversé quelques épreuves. Pas seulement la frustration de ne pouvoir faire ce que nous voulons. Des tensions intrafamiliales, dans les couples, se sont peut-être accentuées. Des relations parents/enfants, entre enfants, ont peut-être souffert. Des parents isolés ont peut-être encore plus durement ressenti la solitude ? Des relations de voisinage se sont peut-être dégradées ? Des violences, verbales ou physiques, ont peut-être surgi, ou se sont aggravées ?

Avons-nous su bénéficier positivement de cette période ? En en profitant pour reposer les corps et les esprits, restaurer les dialogues dans la cellule familiale, mieux y répartir les tâches quotidiennes et ménagères, reçu et délivré des messages à distance à ceux qui nous sont chers, exprimé et apprécié des solidarités entre voisins, cherché à pratiquer une communication non-violente ?

Donnons-nous le choix

Nous avons la possibilité de vivre cette période comme un enfer, ou d’en tirer profit pour nous-mêmes et nos proches. Les contributions dont nous pouvons prendre connaissance, tant locales qu’internationales, sont là pour nous aider dans la perspective la plus éducative, la plus positive, la plus réparatrice, la plus constructive, la plus émancipatrice, … bref, la plus appréciable qui soit.

Parents un jour, parents toujours ! Parents aimants et aimés, parents tolérants, parents disponibles, parents stimulants, parents créatifs, parents communicants, parents valorisants, parents sécurisants, parents structurants, parents résistants, parents résilients, parents éclairés, parents émancipateurs, … feront des enfants à leur image, qui apprendront à bien vivre, à surmonter les obstacles, à gérer les traumatismes et les épreuves de la vie, à devenir eux-mêmes parents.

L’heure de nous-mêmes a-t-elle sonné ? Serons-nous capables, ensemble, d’aller plus loin ? Confinés, mais pas isolés, pas sidérés, pas abattus… Il faut tout un village pour éduquer un enfant, dit le célèbre proverbe africain. Nous sommes en train de bâtir le nôtre, à l’image de notre société actuelle, avec nos outils disponibles, et toute notre énergie. Voilà l’enjeu !

Un grand merci, très sincèrement, à tous ceux qui ont cru en cette initiative, qui y ont adhéré, qui l’ont enrichie, alimentée, mise à votre disposition. Merci à vous d’en faire bon usage ! Pour le meilleur, pas pour le pire.
Protégez-vous bien, portez-vous bien !